Les peintures d'Aline

Dans la ronde des âmes

Le Sycomore

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8 rue Minsk, Netanya

   Le soleil les devançait et ils marchaient au milieu d’un nuage de poussière. Ils avançaient avec à leur tête une  femme adulée qui n’était autre que la mère de leur grand chef Khalid ibn al-Walid

—  Attaquez ! Attaquez ! Attaquez encore ! » disait-il car telle était sa devise.

   «  Le sabre dégainé de Dieu », (c’est ainsi qu’on le surnommait) ne perdait jamais aucune de ses nombreuses batailles. Et pour mieux gagner la guerre, il emmenait avec lui sa mère car ainsi se devait-il de protéger non seulement son honneur mais la vie sacrée de celle qui l’avait engendré.

   Ils marchaient écrasés de soleil lorsque soudain, ils avaient aperçu au loin, la cime d’un grand sycomore qui semblait leur faire signe. Attirée par  l’arbre,  la femme, avait entrainé avec elle toute la troupe des redoutables guerriers.

   Elle s’était allongée à l’ombre du sycomore. Elle s’était endormie dans la douce fraicheur que répandait sa frondaison.  Elle s’était endormie, bercée par les légers bruissements de son feuillage. Propulsée dans le monde des rêves, elle s’était en douceur retirée de la vie.

   Khalid ibn al-Walid avait enterré sa mère sous le grand sycomore. Stèle vivante au-dessus de la tombe, l’arbre s’était dressé tel un corps d’ange. Et la peur qu’inspirait la seule évocation du nom de cet impitoyable guerrier avait survécu  à travers le temps. Et ni les arabes ni les byzantins ni les croisés ni les mamelouks ni les turcs ni les français ni les britanniques ne s’aventurèrent à  faucher l’arbre.


   Sur une place de Netanya, au numéro huit de la rue Minsk, un homme est assis sur un banc de pierre devant le sycomore millénaire. Il revoit l’enfant qu’il a été, jouant au pied de l’arbre. Aujourd’hui encore, il se souvient des paroles qu’avait prononcées son père :

— C’est un des plus grands et des plus vieux arbres de la terre d’Israël. On raconte beaucoup d’histoires à son sujet. On raconte que l’empereur Napoléon Bonaparte s’est par deux fois abrité à son ombre, après sa victoire à Yafo et après sa défaite à Aco.

    Cet arbre, c’est le Temps, se dit l’homme. C’est le Temps dans tous ses états. C’est le temps incarné dans une créature végétale au tronc noueux comme une pieuvre. C’est le temps de l’Histoire, le témoin vivant de nombreuses époques qui se sont succédé. Ce sycomore a vu passer devant lui de nombreux peuples. Mais qu’est-ce que le temps de l’homme sinon un soupir à côté de celui de l’arbre qui est une longue respiration. 

   Fiché comme un pieu sur une trottinette, un enfant casqué, va et vient  devant le sycomore. Et l’homme observe l’enfant, la fragilité de ce petit être qui rit le visage levé vers la cime de l’arbre.

   Devant ce sycomore, nous sommes si peu de choses, songe l’homme. Et au regard de l’univers, nous ne sommes rien. Pourtant nous sommes tout parce que nous sommes des êtres pensants. Et à ce titre, nous sommes en première ligne face au mystère de la création.

   L’homme s’est approché de l’arbre. Il s’est penché. Il a ramassé quelques baies. Puis il s’est exclamé bouleversé :

— Malgré son grand âge, ce sycomore donne encore des fruits !  Cet arbre est un symbole de renaissance continue. La mesure du temps, non pas seulement à travers des ruines, mais à travers la vie ! Le passé entrevu non pas à travers le tamis de l’histoire ou des découvertes archéologiques mais à travers la vie ! Gràce à ce vibrant pilier, gràce à ce vivant pilier dont les strates témoignent de toutes les époques qui se sont empilées,  on entend encore aujourd’hui, battre le cœur du temps. Depuis plus de mille cinq cent ans, un pendule invisible se balance sous les feuillages de ce sycomore. Mais mieux qu’un arbre, il existe un peuple plus de trois fois millénaires pour révéler non pas seulement le cœur mais l’âme du temps ou passé, présent et avenir ne font qu’un.  

L’homme s’est éloigné en clignant des yeux.


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Aline Mopsik