Propos
sur la Peinture
MARC CHAGALL
Je ne saisis rien que par mon instinct...
La théorie scolaire n’a aucune prise sur moi... Ce n’était pas alors dans
le métier seul que je cherchais le sens de l’art... C’était comme si les dieux
s’étaient tenus devant moi...
L’art me semble être surtout un état d’âme...
L’essentiel, c’est l’art, la peinture, une peinture différente de celle que
tout le monde fait. Mais laquelle ? Dieu ou je ne sais plus qui me donnera t-il
la force de pouvoir souffler dans mes toiles mon soupir, soupir de la prière et
de la tristesse, prière du salut de la renaissance ?
MARCEL GROMAIRE
Il y a encore quelques imbéciles pour croire au nu chaste. Mais, par excès
contraire, il en est qui ne voient dans le nu qu’une excitation sexuelle
facile. Le nu est mieux que cela. C’est un merveilleux afflux des forces
élémentaires, à l’image de la création elle-même, une sorte de joie de membres
jeunes qui s’étirent, sortant du néant comme on sort d’un lit. C’est enfin la
plus belle justification cérébrale de la sexualité puisque le barbare torrent
sexuel s’épanouit en une jouissance de l’esprit, sans rien perdre de sa qualité
précieuse...
Bannir le modelé de la peinture est se priver d’un moyen d’exprimer la
lumière...
On pourrait concevoir une toile où toute l’importance serait donnée aux
bords de contact des différentes zones colorées, l’intérieur de ces zones
n’étant trouvé qu’après...
Tendre vers l’essentiel. Sacrifier tout le reste, qui ne renforce pas
l’expression...
VINCENT VAN GOGH
Je préfère peindre les yeux des hommes que les cathédrales, car dans les
yeux il y a quelque chose qu’il n’y a pas dans les cathédrales, même si elles
sont majestueuses et qu’elles en imposent, l’âme d’un homme, même si c’est un
pauvre gueux ou une fille de rue, est plus intéressante à mes yeux...
Il me semble toujours, de plus en plus, que les tableaux qu’il faudrait
faire pour que la peinture actuelle soit entièrement elle et monte à une
hauteur équivalente aux cimes sereines qu’atteignirent les sculpteurs grecs,
les musiciens allemands, les écrivains de romans français, dépassent la
puissance d’un individu isolé ; ils seront créés probablement par des groupes
d’hommes se combinant pour exécuter une idée commune...
J’ai depuis longtemps été touché de ce que les artistes japonais ont
pratiqué très souvent l’échange entre eux....
Je suis de plus en plus convaincu que les vrais peintres n’achevaient pas
dans le sens qu’on donne trop souvent au mot achevé, c’est à dire avec tant de
précision qu’on puisse mettre le nez dessus...
LEONARD DE VINCI
Les contours doivent être de la couleur du fond...
Les couleurs sont comme des leurres qui persuadent les yeux, comme la
beauté des vers dans la poésie...
KATSUSHIKA HOKUSAÎ
Il y a le noir antique et le noir frais, le noir brillant et le noir mat,
le noir à la lumière et le noir dans l’ombre. Pour le noir antique, il faut y
mêler du rouge ; pour le noir frais, c’est du bleu ; pour le noir mat, c’est du
blanc ; pour le noir brillant, c’est une adjonction de colle ; pour le noir
dans la lumière, il faut le refléter de gris. En suivant ces préceptes, les
enfants seront en état de rendre la violence de l’océan, la fuite des rapides,
la tranquillité des étangs et chez les vivants de la terre, leur état de faiblesse
ou de force...
AUGUSTE RODIN
On travaille toujours par masses, plans. Le mouvement ne s’arrête pas à la
figure mais à la masse...
L’esprit dessine, mais c’est le coeur qui modèle...
Il n’y a de laid dans l’Art, que ce qui est sans caractère, c’est à dire ce
qui n’offre aucune vérité extérieure ni intérieure...
Est laid dans l’Art ce qui est faux, ce qui est artificiel, ce qui cherche
à être joli ou beau au lieu d’être expressif, ce qui est mièvre et précieux, ce
qui sourit sans motif, ce qui se manière sans raison, ce qui se cambre et se
carre sans cause, tout ce qui est sans âme et sans vérité, tout ce qui n’est
que parade de beauté ou de grâce, tout ce qui ment...
PABLO PICASSO
L’art est un mensonge qui nous fait sentir la vérité, au moins la vérité
qu’il nous est donné de comprendre...
Que croyez-vous que soit un artiste ? Un imbécile qui n’a que des yeux s’il
est peintre, des oreilles s’il est musicien, ou une lyre à tous les étages du
coeur s’il est poète, ou même, s’il est boxeur, seulement des muscles ? Bien au
contraire, il est en même temps un être politique, constamment en éveil devant
les déchirants, ardents ou doux événements du monde, se façonnant de toute
pièce à leur image. Comment serait-il possible de se désintéresser des autres
hommes et en vertu de quelle nonchalance ivoirine, de se détacher d’une vie
qu’ils vous apportent si copieusement ? Non, la peinture n’est pas faite pour
décorer les appartements. C’est un instrument de guerre offensive et défensive
contre l’ennemi...
En réalité on travaille avec peu de couleurs. Ce qui donne l’illusion de
leur nombre, c’est d’avoir été mises à leur juste place...
Quand je n’ai pas de bleu, je mets du rouge...
Terminer veut dire en finir avec un objet, le tuer, lui enlever son âme,
lui donner la puntilla, l’achever, comme on dit ici, c’est à dire lui donner ce
qui est le plus fâcheux pour le peintre et pour le tableau : le coup de grâce.
Il ne faut peindre que ce qu’on aime...
Tout le monde veut comprendre la peinture. Pourquoi n’essaie-t-on pas de
comprendre le chant des oiseaux ? Pourquoi aime-t-on une nuit, une fleur, tout
ce qui entoure l’homme, sans chercher à les comprendre ? Tandis que pour la
peinture, on veut comprendre. Qu’ils comprennent surtout que l’artiste oeuvre par
nécessité ; qu’il est, lui aussi, un infime élément du monde, auquel il ne
faudrait pas prêter plus d’importance qu’à tant de choses de la nature qui nous
charment mais que nous ne nous expliquons pas...
Le voudrait-il que l’homme ne pourrait se répéter. Répéter, c’est aller
contre les lois de l’esprit, sa fuite en avant...
Quant à moi ce qui me sauve, c’est que chaque jour je fais pire..
L’œuvre
qu’on fait est une façon de tenir un journal.
PIERRE CHARDIN
Je mets de la couleur jusqu’à ce que ce soit ressemblant...
GEORGES ROUAULT
Artiste solitaire, si rien n’est nouveau sous le soleil, ne va pas te
réclamer de cette pensée, de crainte de baisser trop vite les paupières devant
tout ce qui vit sous ciel, Aie toujours loisir de voir avec plaisir vivre la
moindre bestiole...
Je ne parle pas pour ceux qui déclarent qu’en peinture il n’y a plus rien à
dire : Tout reste à dire par les nuances infinies de la sensibilité, dans le
domaine de la forme et de la couleur...
Bien des artistes ont la douce et inoffensive prétention de croire à la
survie de leurs oeuvres et nos chers maîtres « n’ont plus le temps » d’employer
les patients moyens des artisans d’autrefois ; quelle joie d’ailleurs que
certaines peintures disparaissent ! Si tout le monde peignait sur de bonnes
toiles, employait de bonnes couleurs et connaissait tous les secrets du métier
... du saint métier de l’art ... ! Quelle douleur pour les yeux et bien souvent
pour l’esprit de nos successeurs ! Malheureusement aussi, des oeuvres délicieuses
disparaîtront...
Penser pour un peintre, ne serait-ce pas avoir une vision sensible et
créatrice de la forme et de la couleur et la faculté de s’exprimer avec plus ou
moins de bonheur picturalement ?
Expliquer l’art c’est un peu sot...
L’œuvre
d’art est une ardente confession ;
ANDRE MASSON
Le rejet du clair-obscur conduira « progressivement » la peinture à
l’absence de toute représentation de la vie affective. Pas d’homme sans ombre,
cependant ! Cela va plus loin, peut-être, qu’une remarque absurde..
EUGENE DELACROIX
Il y a deux choses que l’expérience doit apprendre : la première, c’est
qu’il faut corriger ; la seconde, c’est qu’il ne faut pas trop corriger..
Etudiez sans relâche avant ; une fois en scène, faîtes des fautes s’il le
faut, mais il faut exécuter librement...
Malheur à celui qui ne voit qu’une idée précise dans un beau tableau et
malheur au tableau qui ne montre rien au-delà du fini à un homme doué
d’imagination. Le mérite du tableau est l’indéfinissable : c’est justement ce
qui échappe à la précision : en un mot c’est ce que l’âme a ajouté aux couleurs
et aux lignes pour aller à l’âme..
L’exécution, dans la peinture, doit toujours tenir de l’improvisation...
L’éxécution du peintre ne sera belle qu’à condition qu’il se sera réservé
de s’abandonner un peu, de trouver en faisant ...
Dans la peinture, dans la poésie, la forme se confond avec la conception.
Les peintres quine sont pas coloristes font de l’enluminure et non de la
peinture... Les coloristes doivent masser avec la couleur comme le sculpteur
avec la terre, le marbre ou la pierre...
Il faut toujours gâter un peu un tableau pour le finir...
Une partie de l’effet que produisent les statues de Michel-Ange est dû à
certaines disproportions ou parties inachevées qui augmentent l’importance des
parties complètes...
On était venu dire à Michel-Ange, comme il s’occupait avec activité des
travaux de Saint-Pierre, que Paul IV voulait lui faire corriger son Jugement
dernier, à cause de certaines nudités qui paraissent choquantes pour la
décence. Le vieillard courroucé fit cette verte réponse : « Dites au pape que
ce qui le blesse n’est qu’une misère qu’on peut aisément réparer; qu’il change
le monde, ensuite on changera les peintures. »...
Dans la vue seule de sa palette, comme le guerrier dans celle de ses armes,
le peintre puise la confiance et l’audace...
Ebaucher avec un balai, finir avec une aiguille...
J’aime encore à l’imaginer (Michel Ange) dans ses moments où, fatigué de
n’avoir pu arriver par la peinture à la sublimité de ses idées, il essayait,
dans l’inquiétude de son esprit, d’appeler à son secours la poésie...
Je n’ai commencé à faire quelque chose de passable, dans mon voyage
d’Afrique, qu’au moment où j’avais assez oublié les petits détails pour ne me
rappeler dans mes tableaux que le côté frappant et poétique ; jusque-là,
j’étais poursuivi par l’amour de l’exactitude, que le plus grand nombre prend
pour la vérité...
Il ne faut pas tout montrer. L’art du peintre est de ne porter l’attention
que sur ce qui est nécessaire...
La multiplicité des détails trop circonstanciés, même quand ils sont vrais,
détourne du spectacle principal qu’est l’immensité ou la profondeur dont un
certain art peut donner l’idée...
CLAUDE MONET
Je peins comme l’oiseau chante...
AUGUSTE RENOIR
Il y a dans la peinture quelque chose de plus, qui ne s’explique pas, qui
est l’essentiel. Vous arrivez devant la nature avec des théories, la nature
flanque tout par terre... La vérité est que, dans la peinture comme dans les
autres arts, il n’y a pas un seul procédé, si petit soit-il, qui s’accommode
d’être mis en formule...
Un matin, l’un de nous manquant de noir, se servit de bleu :
l’impressionnisme était né...
RAOUL DUFY
Le bleu est la seule couleur qui, à tous ses degrés, conserve sa propre
individualité. Prenez le bleu à ses diverses nuances, de la plus foncée à la
plus claire, ce sera toujours du bleu, alors que le jaune noircit dans les
ombres et s’éteint dans les clairs, que le rouge foncé devient brun et que,
dilué dans le blanc, ce n’est plus du rouge, mais une autre couleur : le
rose...
PAUL CEZANNE
J’ai été content de moi lorsque j’ai découvert que le soleil, par exemple
ne se pouvait pas reproduire, mais qu’il fallait le représenter par autre
chose... par de la couleur...
La nature, pour nous hommes, est plus en profondeur qu’en surface, d’où la
nécessité d’introduire dans nos vibrations de lumière, représentées par les
rouges et les jaunes, une somme suffisante de bleutés pour faire sentir
l’air...
Il n’y a ni peinture claire, ni peinture foncée, mais simplement des
rapports de tons. Quand ceux-ci sont mis avec justesse, l’harmonie s’établit
toute seule. Plus ils sont nombreux et variés, plus l’effet est grand et
agréable à l’oeil...
C’est comme une carte à jouer. Des toits rouges sur la mer bleue... Le
soleil y est si effrayant qu’il me semble que les objets s’enlèvent en
silhouette non pas seulement en blanc ou noir, mais en bleu, en rouge, en brun,
en violet. Je puis me tromper mais il me semble que c’est l’antipode du
modelé...
Je dois travailler et fatiguer, mais non pas pour ce fini qu’admirent les
imbéciles. Ce qu’on apprécie communément, c’est cette habileté manuelle qui
rend toute oeuvre antiartistique et commune. Je dois chercher la perfection
uniquement pour le plaisir de peindre avec plus de vérité et de sagesse...
PAUL GAUGUIN
J’ai observé que le jeu des ombres et des lumières ne formait nullement un
équivalent coloré d’aucune lumière... Quel en serait donc l’équivalent ? La
couleur pure !...
J’ai connu la misère extrême, mais ce n’est rien ou presque rien. Ce qui
est terrible, c’est l’empêchement du travail...
PAUL SIGNAC
Cette année,à la manifestation du 12 février, quand les ouvriers ont
couvert la statue de la République de drapeaux, de fleurs, de couronnes rouges,
je suis rentré chez moi dans une grande exaltation. J’avais envie de chanter ce
rouge. Encore faut-il trouver des rouges dignes de cette émotion...
VASILY KANDINSKY
L’observateur doit apprendre à regarder les peintures comme des
combinaisons de formes et de couleurs, comme la représentation d’un état d’âme,
non comme la représentation d’objets...
JOAN MIRO
Le mouvement va toujours vers le haut. Il n’y a pas de traits qui
descendent - mouvement ascendant de tous les traits...
Je ne fais plus de dessins de choses réelles, les objets que je vois me
servent de stimulants mais il en résulte des formes analogiques...
Une huile ou une gouache pour moi c’est la même chose. C’est fait dans le
même état d’esprit...
Plus qu’un mouvement sexuel, si je fais un grand sexe d’homme avec des
testicules, c’est quelque chose de sacré pour moi. Ce n’est pas érotique...
FRANCIS BACON
Exprimer la sensation et non la représentation...
Le problème principal, lorsqu’on est artiste, c’est d’arriver à faire
quelque chose qu’on voit avec son instinct, or on n’y arrive presque jamais. On
est toujours, je crois, à côté. Mais c’est le principal problème qui se pose :
arriver à faire quelque chose instinctivement. Quant à expliquer l’instinct,
c’est vraiment une question très complexe. En voyant comme la peinture change
au fil des siècles, on peut se demander si l’instinct ne change pas lui aussi
de siècle en siècle, s’il n’est pas modifié par tout ce que l’on voit, tout ce
que l’on entend. Je ne sais pas. En tout cas, ce que je peux dire, c’est que
l’instinct s’impose. LA façon que l’on a de faire une image, cela on peut
l’expliquer peut-être, parce que c’est un problème de technique. Les techniques
changent, et on peut parler de la peinture en faisant une sorte d’histoire des
techniques de la peintures, mais ce qui fait la peinture et qui est toujours la
même chose, le sujet de la peinture, ce qu’est la peinture, ça on ne peut pas
l’expliquer, cela me semble impossible. Ce que je peux peut-être dire, c’est
qu’à ma propre façon, désespérée, je vais çà et là suivant mes instincts...
J’étais en train de faire un paysage, je voulais faire un champ avec un
oiseau qui le survole et j’avais placé tout un tas de repères sur la toile pour
cela, et puis d’un coup, les formes que l’on voit sur cette toile ont commencé
d’apparaître, elles se sont imposées à moi. Ce n’était pas ce que je comptais
faire, loin de là. C’est arrivé comme cela et j’étais plutôt étonné de cette
apparition. Dans cette circonstance, je pense que l’instinct a produit ces
formes. Mais il ne faut pas assimiler cela à de l’inspiration. Cela n’a rien à
voir avec les muses ou quelques chose comme ça, non, c’est arrivé de façon
inattendue, comme un accident. Il était prévu quelque chose et puis, d’une
façon tout à fait étonnante, quelque chose d’autre est arrivé. C’est cela pour
moi l’instinct, mais je ne peux pas vous en donner une définition, je peux
juste vous dire comment les choses, un jour, se sont produites, c’est tout...
La seule critique efficace est personnelle : c’est celle qui s’exerce sur
son propre travail quand on est en train de peindre, mais il ne s’agit plus
alors de la même chose. Le sens critique qui joue là, c’est la faculté de
découvrir ce qui est possible, par où on peut passer, dans tout ce qui est déjà
présent sur la toile, pour aboutir à la meilleure image finale. Mais ce qui me
semble le mieux à moi ne sera pas forcément ce qui plaira le plus à ceux qui
regarderont ma peinture ensuite ! ...
En art, c’est une longue chaîne qui n’en finit pas. La connaissance n’est
pas cumulative comme en science. Proust n’a pas été plus profond que Balzac, il
a montré les choses différemment. C’est une affaire de style. Et c’est vrai
aussi pour la peinture. On ne peut pas dire, Picasso c’est mieux que Cézanne,
ça serait idiot. En science, on pense que ce qui vient après est plus vrai que
ce qui était avant, ce n’est pas du tout la même chose en art, le temps n’est
pas le même, et je ne suis pas sûr d’ailleurs que dans les sciences, au niveau
des recherches et des découvertes, ça se passe comme je viens le dire...
L’abstrait me semble une solution de facilité. La matière picturale en soi
est abstraite, mais la peinture, ce n’est pas seulement cette matière, c’est le
résultat d’une sorte de conflit entre la matière et le sujet. Il y a là comme
une tension, et j’ai l’impression que les peintres abstrait éliminent d’emblée
un des deux termes de ce conflit : la matière imposerait seule ses formes, ses
loi. Ca me paraît une simplification. C’est vrai aussi que pour moi, il y a
toujours l’importance de la figure humaine, de ses transformations constantes.
L’abstraction ne m’a jamais paru suffisante ; elle ne m’a jamais satisfait.
Elle me semble au fond se réduire à l’aspect uniquement décoratif de la
peinture...
Non, je ne crois pas du tout à l’enseignement. C’est en regardant que l’on
apprend. C’est cela qu’il faut faire, regarder...
L’important pour un peintre, c’est de peindre et rien d’autre...
FRANCISCO DE GOYA
Toujours des lignes et jamais des corps. Mais où donc trouvent-ils des
lignes dans la nature ? Moi, je n’y vois que des corps éclairés et des corps
qui ne le sont pas, des plans qui avancent et des plans qui reculent... Mon
oeil n’aperçoit jamais ni linéaments, ni détails. Mon pinceau n’y doit donc pas
voir mieux que moi ! ...
Dans la nature, il n’y a que le soleil et les ombres...
Dans la nature, la couleur n’existe pas plus que la ligne ; donnez-moi un
morceau de charbon, et je vous ferai un tableau ; car toute la peinture est
dans les sacrifices et les partis pris...
EDOUARD MANET
Qui donc a dit que le dessin est l’écriture de la forme ? La vérité est que
l’art doit être l’écriture de la vie...
JEAN-AUGUSTE-DOMINIQUE INGRES
Il faut donner de la santé à la forme...
On ne finit que sur du fini...
MICHEL ANGE
Je n’ai jamais été un peintre et un sculpteur qui fait commerce de l’art.
Je m’en suis toujours gardé, pour l’honneur de ma race...
La peinture est une maîtresse jalouse, elle veut un homme tout entier...
Il est très bon et très utile de pouvoir travailler avec promptitude et
adresse. C’est un don de Dieu de pouvoir faire en peu d’heures ce que demande
de la part d’un autre plusieurs jours de travail... Ainsi celui qui travaillant
rapidement, ne laisse pas de peindre aussi bien que celui qui travaille
lentement, mérite les plus grands éloges. Mais si par cette célérité, il
dépasse les limites que l’art ne permet pas de franchir, mieux lui aurait valu
peindre avec plus de lenteur et d’étude ; car il ne faut pas qu’un bon artiste
se laisse entraîner par la fougue au point d’oublier ou de négliger son
principal but, la perfection...Dans les oeuvres de peinture, ce que l’on doit
chercher avec les plus grands efforts, c’est de faire en sorte qu’après y avoir
employé beaucoup de travail et de temps, elles aient l’apparence d’être faites
vite et sans peine...
HENRI MATISSE
Ordonner un chaos, voilà la création. Et si le but de l’artiste est de
créer, il faut un ordre dont l’instinct sera la mesure...
Le côté expressif des couleurs s’imposent à moi de façon purement
instinctive...
Ce qui m’intéresse le plus, c’est la figure...
Ce qui compte le plus dans la couleur, ce sont les rapports. Grâce à eux,
et à eux seuls, un dessin peut-être intensivement coloré, sans qu’il soit
besoin d’y mettre de la couleur...
Sans doute, il existe mille façons de travailler la couleur. Mais quand on
la compose, comme le musicien avec ses harmonies, il s’agit simplement de faire
valoir des différences...
Certes, la musique et la couleur n’ont rien de commun, mais elles suivent
des voies parallèles. Sept notes, avec de légères modifications, suffisent à
écrire n’importe quelle partition. Pourquoi n’en serait-il pas de même pour la
plastique ?...
Le choix de mes couleurs ne repose sur aucune théorie scientifique : il est
basé sur l’observation, sur le sentiment, sur l’expérience de ma sensibilité...
Pour moi, je cherche simplement à poser des couleurs qui rendent ma
sensation... En étudiant les tableaux des peintres dont la connaissance des
couleurs repose sur l’instinct et le sentiment, sur une analogie constante de
leurs sensations, on pourrait sur certains points des lois de la couleur
reculer les bornes de la théorie des couleurs telle qu’elle est actuellement
admise...
ODILON REDON
Une des ressources les plus précieuses est l’introduction du noir et du
blanc. Le noir et le blanc sont, pour ainsi parler, des non-couleurs qui
servent, en séparant les autres, à reposer l’oeil, à le rafraîchir, alors
surtout qu’il pourrait être aussi fatigué par l’extrême variété que par
l’extrême magnificence. Suivant les proportions qu’on leur donne, suivant le
milieu où on les emploie, le blanc et le noir atténuent ou rehaussent les tons
voisins ; quelquefois, le rôle du blanc dans un tableau sinistre est celui que
joue en plein orchestre un coup de tam-tam. D’autres fois, le blanc peut-être
employé pour corriger ce qu’aurait de brutal la contiguïté de deux couleurs
franches telles que le rouge et le bleu...
GEORGES BRAQUE
... D’ailleurs, je dois vous dire là que je ne cherche jamais à définir les
choses, étant toujours porté vers une sorte « d’infinition ».
... Dans tout tableau il y a un sujet, mais qui n’est pas fatalement
anecdotique. Les gens s’imaginent que le sujet commence avec l’anecdote. C’est
tout à fait faux...
... Le départ du tableau, pour tout peintre, c’est les couleurs et les
formes; je crois qu’on n’échappe pas à ça, bien que la règle ne soit pas
absolue...
... Ces gens là ont l’air d’ignorer totalement que ce qui est entre la
pomme et l’assiette se peint aussi. Et ma foi, il me parait tout aussi
difficile de peindre l’entre-deux que les choses. Cet « entre-deux » me parait
un élément aussi capital que ce qu’ils appellent « l’objet ». C’est justement
le rapport de ces objets entre eux et de l’objet avec l’ « entre-deux » qui
constitue le sujet...
... Je crois qu’en général, la liberté c’est surtout... se libérer d’un
certain automatisme. L’automatisme, contrairement au sens qu’on a voulu donner
au cours des dernières années à ce mot, est pour moi l’accomplissement des
habitudes. Or je ne vois pas là que ce soit une liberté, comme certains ont
voulu le prétendre...
... Pour peindre on part d’une idée : On part d’une idée motrice. Tout se
passe dans la tête avant de se passer sous les yeux. C’est une idée qui se
manifeste n’est-ce pas ? Mais, en cours d’exécution, le tableau s’affirme. Il y
a donc lutte entre l’idée - c’est-à-dire le tableau préconçu - et le tableau
qui se défend lui-même. Il m’est même arriver de constater une chose : en
faisant un tableau, je m’arrêtais - ni satisfait, ni mécontent d’ailleurs - je
mettais ce tableau de côté, et six mois après, en le regardant, je trouvais que
ce tableau était terminé : il s’était fait tout seul ! Alors, je me suis souvent
posé la question « Pourquoi ? » et je crois avoir compris : quand je faisais le
tableau, j’étais encore imprégné de cette idée à laquelle j’aurais voulu que le
tableau ressemblât. Cependant le tableau lui-même prenait se propre vie. Il se
défendait. En voyant le tableau six mois après, j’avais perdu mon idée et je me
trouvais en face d’une réalité : ce tableau qui existait de lui-même.
J’emprunterai à la construction navale un exemple assez caractéristique. :
celui du ber. Quand on construit un bateau, le ber est la construction qui sert
à construire le bateau. Le ber et le bateau font corps. Ils s’élèvent ensemble.
Quand on lance un bateau, dès que le bateau trouve sa propre vie, il abandonne
le ber. Il n’est plus question du ber et le bateau devient bateau. Pour le
tableau je crois qu’il en est de même. Dès qu’ils se libère de l’idée, il mène
sa propre vie. Il flotte ; si l’on peut dire !...
... Dans une oeuvre d’art, il doit y avoir une tension qui précisément est
entretenue par le conflit de l’idée poursuivie et du tableau qui s’affirme. Je
crois que c’est cette tension qui donne la vie au tableau...Si le tableau
s’accomplissait sans résistance, il serait sans portée...
Dans le tableau ce qui compte, c’est l’imprévu. C’est lui qui reste. Si je
pouvais concevoir un tableau mentalement, je ne me donnerais jamais la peine de
l’exécuter. Certains artistes exécutent leurs conceptions mentales. Quand ils
peignent, c’est absolument comme s’ils faisaient une copie. Aussi l’esprit
est-il absent du tableau. Le peintre a imité son idée...
Quand on a recours au talent, je vous l’ai dit, c’est que l’imagination
fait défaut...
GUSTAVE SINGIER
... Ce n’est pas obligatoirement parce que l’oeil aura capté une dominante
rouge ou jaune, que la réalité sera nécessairement exprimée par ces couleurs.
On peut suggérer l’impression de rouge par une toute autre couleur que le
rouge...
... Je crois que pour approcher cette réalité, la première chose
importante, est d’être en état de réceptivité vis-à-vis vis de cette réalité,
de ne pas projeter immédiatement sur elle une image préconçue, c’est être
disponible, avoir tous les sens aiguisés, de manière à ne pas laisser échapper
la possibilité de percevoir ce qui est réalité dans la vision... Je découvre
cette réalité en travaillant. Je découvre cette réalité quand je commence à me
sentir en accord avec le sentiment que je peux avoir de cette réalité...
... Ma réalité commence au moment où s’établit un dialogue entre ce que
l’oeil a perçu et ce que moi-même j’apporte à cette vision. Il se produit
automatiquement une transformation. Cette réalité modifiée, est pour moi la
réalité...
... Quand la toile ne fait plus de bruit, quand je suis libéré de
l’inquiétude, quand je peux respirer en regardant ma toile, quand je peux m’en
détacher, je peux dire : cette toile est finie, mais ce n’est pas pour cela que
j’ai atteint cette réalité. Une parcelle de cette réalité c’est déjà beaucoup.
La peinture est un miroir. Le peintre peut s’y voir tel qu’il est, avec ses
faiblesses. Il doit les accepter, ne pas tricher. Ses imperfections, sont une
preuve de sa sincérité. La réalité n’existe qu’à partir du moment où je peux
vivre en accord avec cette toile. Il faut qu’à n’importe quel moment cette
toile me transporte immédiatement dans cette réalité...
... Les toiles ont leur vie propre, on ne met pas toujours ce que l’on veut
dans la peinture. Dans les meilleurs cas mes toiles m’apportent plus que je
leur ai donné...
.... Les règles de la composition sont des besoins intérieurs, un peintre
les sent instinctivement. Mais il est toujours très difficile de les définir
exactement. Le peintre lui-même, quand il s’interroge, a beaucoup de mal à
analyser le jeu de ces règles, dans la conception ou dans la construction d’une
toile. Je vous ai parlé tout à l’heure de la métaphore. Or, il arrive que l’on
invente, ou plutôt que l’on trouve un signe qui correspond au besoin
d’expression. Un signe qui réalise cette métaphore (il en est de même pour un
rapport de couleurs). Si j’essaie, maintenant, de transporter ce signe que j’ai
découvert dans une autre peinture, il est aussitôt complètement vidé de son
sens. Il était né par nécessité, plutôt que par application d’une règle. Il
avait pris sa forme, il était nécessaire à cet endroit. Dans une autre toile il
perd toute expression. Il est là mais il n’a plus de sens...
... J’ai la sensation que pour moi le réel c’est la
découverte que je fais, chaque jour, dans ma peinture. Le réel c’est ce que je
n’avais pas vu avant et qui brusquement apparaît sous le pinceau ou le crayon.
Le réel est pour moi la révélation. C’est ce que je n’avais jamais vu. Une
forme, un signe que je ne connaissais pas... Le réel c’est la toile que je
ferai demain...
ROGER BISSIERE
La
porte s'est ouverte mais pas sur le ciel. Sur un chemin âpre et dur, je me suis
débattu pour essayer de m'exprimer. J'ai fait comme j'ai pu. Le résultat n'est
pas celui que j'avais rêvé. Mais tout de même l'essentiel est peut-être demeuré.
Je
n'aime pas les chefs d'œuvre… Les peintres qui me font signe n'ont jamais été
des faiseurs de chefs d'œuvre; Ils n'ont pas précisément fait des tableaux mais
plutôt des miroirs où leur propre image s'est reflétée avec une bouleversante
vérité.
Il ne s'agissait pas de "raconter" des émotions mais d'en recréées
les causes…
Il
y a deux sortes d'images. Les unes sont peintes. Elles sont là. Elles ne
m'appartiennent plus. Elles ont commencé leur vie propre où je ne suis plus
engagé. C'est à elles de se défendre. Je ne pense plus rien pour elles.
D'ailleurs elles ne m'intéressent pas. Je ne pense qu'à celles que je ferai
demain. Celles-là seules me passionnent… Le tableau qu'il soit à l'huile, à
l'eau, qu'il soit fait d'étoffes, de ciment ou de la boue des chemins, n'a
qu'une seule signification : La qualité de celui qui l'a créé et la poésie
qu'il porte en lui. Tout est permis, tout est possible pourvu que derrière le
tableau un homme apparaisse, tel qu'il est, tout nu, comme la vie…
Autrefois
peindre était pour moi un drame. Aujourd'hui il n'en est plus ainsi, j'éprouve
un plaisir très grand. Peu importe la
qualité de ce que je fais. Je tiens une sorte de journal de ma vie …
A Jacques Lassagne 19956
J'ai
horreur de tout ce qui est systématique… La perfection d'ailleurs serait
inhumaine. Un tableau sans défaut perdrait son rayonnement et sa chaleur. Il
cesserait d'être l'expression vivante et concrète d'un homme. D'un homme qui
ose se dresser devant vous tel qu'il est vraiment et non pas tel qu'il voudrait
être. Mes tableaux ne veulent rien prouver ni rien affirmer. Ils sont la seule
façon en mon pouvoir de restituer des émotions indicibles autrement. Je peins
pour être moins seul en ce monde misérable. Je suis un être vivant qui
s'adresse à d'autres vivants pour avoir moins froid. Peu de choses au monde
voyez-vous demande autant de sincérité que la peinture. Elle est un miroir
fidèle. Le peintre s'y reflète tout entier, tel qu'il est sans masque. Si
d'aucuns veulent mentir, cacher leurs faiblesses, imiter des émotions qui ne
sont pas les leurs, le tableau les trahit aussitôt et les dévoile. Il n'est pas
de peinture valable sans acceptation du danger. Le danger est la condition même
de toute création plastique. Un tableau n'est pas la somme de nos expériences
mais une aventure toujours renouvelée, une bataille dont l'issue est toujours
imprévisible où nous risquons de tout
perdre. Et pourtant celui qui peint ne saurait perdre ou gagner à moitié. Il en
est de la peinture comme au tir à la cible. Je tache de pousser mon tableau
jusqu'à la limite de mes forces… Mais les batailles perdues sont souvent les
plus glorieuses. Elles ont la noblesse que le péril accepté confère à toute
chose, la grandeur du jeu de la vie et de la mort. Le plus beau tableau du
monde est d'ailleurs une défaite car la réalisation est toujours inférieure à la
conception. Je ne demande pas d'admiration mais seulement un peu de sympathie.
Quand je commence un tableau, je ne sais où il me mènera, au bonheur ou au
désespoir. Ainsi je ne saurais croire ni à l'expérience ni à l'éducation. A
l'intelligence encore moins. Mais seulement à l'instinct le plus primitif.
Celui qui surgit du fond des âges. Peut-être aussi à ce que Pascal appelait
"l'esprit de finesse". Je me suis toujours refusé à mettre un titre au
bas d'un tableau. Mettre un titre, c'est soutenir la peinture avec de la
littérature. Le tableau n'a pas besoin de béquilles… Je ne sais pas ce que veut
dire le mot recherche. Je ne cherche rien, je ne me pose pas de problème : Je
ne me fie qu'à mon instinct, ma peinture est un journal de ma vie. Elle reflète
mon humeur de chaque jour, ma tristesse ou ma joie, les matins de soleil comme
les brumes de l'automne. J'absorbe ce qui m'entoure et je le restitue comme je
peux. La peinture à mon sens n'est pas un choix mais une fatalité.
1958
Voici deux ans
que le destin m'a frappé durement. Il m'a fallu xxx des jours pour chercher une
raison de vivre. Je l'ai demandée à la peinture, à ces formes et ces couleurs
que j'avais tant aimées. Seules elles ont fourni un refuge à ma peine mais je ne me sentais ni le courage ni la force
d'aborder des entreprises exigeant beaucoup de continuité et d'équilibre
spirituel. Ces petites planches de bois m'ont paru plus à la mesure de ma
détresse et j'ai commencé à créer ces images presque quotidiennes qui
endormaient ma peine et concrétisaient aussi peut-être le souvenir d'un bonheur
révolu. Ainsi de jour en jour au rythme des saisons est apparu ce journal de ma
vie qui en fin de compte est peut-être une revanche sur la mort.
1964
HUGO PRATT
Une aquarelle
n’est pas une histoire, c’est la traduction d’une sensation, d’un souvenir,
d’un état d’âme.
OSSIP ZADKINE
Comme vous
collez à l’objet matériel ! Soyez un ange qui saurait d’un grand coup
d’aile quitter le terre à terre, qui saurait aller et venir entre la terre et
ces régions d’ailleurs où s’élabore la création, entre l’objet et le domaine de
la réflexion et de la sensibilité mêlées.
Travaillez, ne
remettez pas à demain ce qui s’impose aujourd’hui car la sollicitation secrète
d’aujourd’hui ne se fera plus entendre demain.
Ne faites
jamais rien… pour rien parce que c’est de l’énergie gaspillée, parce que c’est
sacrilège. Mais aussi parce que l’artiste n’est artiste que très peu de temps.
HENRI MILLER
Et tous les
moyens d’expressions sont ouverts aux artistes. Aucun ne suffit, seul, à
exprimer la richesse de sentiment qui est le fardeau d’une âme d’artiste.
Les peintres,
pour une raison que j’ignore, me paraissent moins « usés » par leur
travail quotidien que les écrivains ou les musiciens. Et ils utilisent les mots
d’une manière plus plastique, comme s’ils avaient conscience de leur origine
dans la matière. Quand ils écrivent (je pense surtout à des hommes comme
Rouault ou Vlaminck), leur style a une qualité poétique qui manque bien souvent
aux écrivains Peut-être est-ce dû au fait qu’ils vivent en contact permanent
avec la chair, les tissus, les objets et non pas seulement avec des idées, des
abstractions et des complexes.
SCHITAO
Car L’Unique
Trait de Pinceau, en effet, embrasse l’universalité des êtres ; la
peinture résulte de la réception de l’encre ; l’encre, de la réception du
pinceau ; le pinceau, de la réception de la main ; la main de la
réception de l’esprit : tout comme dans le processus qui fait que le Ciel
engendre ce que la Terre ensuite accomplit, ainsi tout est fruit d’une
réception.